En français

Les noms des lieux entre la Dendre et la Dyle

Témoins du monde gaulois


“Les toponymes ou noms de lieux sont des témoins de l’âge du fer (850-52 av. J.-C) ou même de l’âge du bronze (2200-850 av. J.-C.) qui font singulièrement revivre le monde des Gaulois dans le Brabant flamand et wallon. Des dialectes du Pays de Galles, de Bretagne et d’Irlande, permettent de découvrir leur signification et non pas les langues germaniques comme écrit injustement dans de nombreux livres et affirmé par certains linguistes et historiens.”


Par cette introduction, j’ai souvent commencé mon exposé sur la recherche de la signification des noms de lieux dans notre pays. Une recherche commencée il y a près de dix ans comme hobby et qui mena vers des découvertes spectaculaires du monde ancien en Europe de l’Ouest.

Il était temps d’en informer un plus large public.

Nous connaissons tous des noms de lieux dans notre ville ou village. Presque chaque parcelle, chaque bois, forêt, champ et beaucoup d’anciennes maisons ont leurs noms propres. On les retrouve sur des cartes topographiques du 17ième au 19ième siècle, dans des archives ou grâce aux récits des habitants eux-mêmes. Des noms comme le Coudenberg, la Putterie et le Cantersteen à Bruxelles par exemple, nous sont familiers, mais personne n’en connaît vraiment la signification.

Les toponymistes, surtout germanistes, en donnent souvent une explication et de nombreux ouvrages de référence ont été écrits sur le sujet, mais leurs interprétations sont souvent très théoriques, sans aucun lien avec les données environnementales, archéologiques, géographiques ou anthropologiques connues. Ainsi on peut lire par exemple dans le dictionnaire ‘De Vlaamse gemeentenamen’ (De Brabandere F. et al, 2010) que les habitants de Relegem seraient des sujets de Radilo (un nom propre germanique), ceux de Pepingen, les sujets de Papo et Elverdinge (Ieper) le lieu d’habitation d’Alifrith. Tous ces chefs francs y auraient fondé un village ou une cité? Vraiment?

Pourtant, les anthropologues savent depuis bien longtemps que des groupes de populations dans le monde entier, ont toujours donné des noms dans leur propre langue aux rochers, montagnes et rivières dans leur voisinage. Ce ne fut pas autrement en Europe de l’ouest.


A la recherche d’un dictionnaire

Et c’est ainsi que je découvris une vraie perle dans la Bibliothèque Nationale de France: le dictionnaire du théologien français Jean-Baptiste Bullet, ‘Mémoires sur la langue Celtique’ (1754). Il contient un très riche vocabulaire issu de nombreux dialectes et de langues anciennes de l’Europe de l’Ouest. Les premières traductions trouvées furent d’emblée pertinentes. Le quartier de Leegheid que l’on trouve à Malines, Louvain et Overijse est un territoire boueux, humide, gorgé de vase et d’eau, comme racontent les mots bretons lechyd et lechydec. Le mot breton llithrigrwydd signifie même un endroit boueux et humide où l’on glisse et tombe facilement. Cette traduction correspond parfaitement à ces terres humides et même marécageuses (p.ex. à Overijse) toutes situées au bord d’une rivière dans nos quartiers Leegheid.

L’IJse, une petite rivière qui se jette dans la Dyle, nommée d’Es dans le dialecte de la région du raisin, est littéralement un ‘ruisseau’ ou une ‘rivière’ du Gallois es ou esc.

Lorsqu’il s’est avéré que les donateurs de l’autel votif gallo-romain découvert à Hoeilaart et consacré aux ‘Matronae cantrustheiae’ vénéraient des déesses-mères veillant sur ‘un pays de cent villages’ (Gallois cantredus) le monde des toponymes apparut soudainement densément peuplé. Dès lors, la recherche ne s’est plus arrêtée.


Les toponymes décrivent le monde de l’âge du fer et du bronze

Lorsqu’on indique tous ces noms de lieux sur des anciennes cartes géographiques avec leurs traductions adéquates, c’est tout le monde des Gaulois qui se révèle peu à peu, d’une façon surprenante et détaillée.

De plus, les découvertes archéologiques de cette période et des textes anciens d’écrivains grecs et romains le confirment également.

Les Nerviens du Brabant flamand et wallon possédaient une civilisation riche et diverse. Leur territoire était parsemé de villes, de villages, de petits ports, de marchés, de sites sacrés, de gisements de fer et de carrières de pierres, de plusieurs nécropoles et d’impressionnantes régions frontalières bien protégées et défendues.

Tout ceci est décrit et détaillé dans le livre écrit en Néerlandais ‘Gallisch Brabant, wereld van toponiemen’. La page arrière de couverture raconte « comment la connaissance actuelle de l’Antiquité en Belgique et dans les pays limitrophes en est complètement bouleversée. Bruxelles fut une vraie ville, déjà dans l’Antiquité, Louvain naquit en tant que sanctuaire à l’embouchure de la Voer dans la Dyle bien avant l’arrivée des Romains. Les Gaulois, comme leurs congénères les Etrusques enterraient leurs défunts dans de grandes nécropoles, de vrais villages de morts. La plupart d’entre-elles, par exemple Meise et Uccle, n’ont pas été découvertes à l’heure actuelle par les archéologues. 

Par curiosité, quelques sites en dehors du Brabant ont été explorés : les sites archéologiques de Ribemont-sur-Ancre en France et Le Mormont en Suisse par exemple. Mais également la région de la Côte Belge et la ville gallo-romaine de Tongres, sans aucun doute plus ancienne que communément accepté.

Même le pays des Carnutes, la région mythique où se rendaient chaque année les druides de toute la Gaule, prend forme grâce à ces toponymes infiniment fascinants. »

 

Les sites archéologiques décrits par les toponymes

Les arguments qui confortent ces découvertes sont nombreux. Il ne s’agit pas de quelques découvertes dues au hasard, mais bien de milliers de toponymes dans toute la région entre la Dendre et la Dyle et par extension dans toute l’Europe de l’Ouest.

Les plus spectaculaires sont peut-être les sites où les archéologues ont fait de réelles découvertes importantes. Le champ d’urnes de l’âge du bronze et du fer découvert à Hofstade près d’Alost en est un exemple. Plus de quatre cents urnes ont été déterrées par des archéologues de la Vrije Universiteit d’Amsterdam. Le journal de la VRT et beaucoup d’autres médias annoncèrent en 2016 la découverte du ‘plus grand champ d’urnes de la Belgique’. Les archéologues parlaient d’une nécropole du village de Hofstade et de traces d’habitat près du champ d’urnes. Les toponymes racontent une autre réalité : tout le village de Hofstade fut une nécropole, le village des morts d’Alost et les environs. Comme chez les Etrusques qui nous laissèrent des nécropoles en pierre (cf. la nécropole de Populonia ou celle de Banditaccia à Cerveteri). Les Gaulois ne nous laissèrent pas de telles nécropoles en pierre mais elles survivent dans nos toponymes. Les Gaulois prévoyaient de grands territoires pour leurs défunts qui furent défendus comme un village ordinaire, ceints de haies et pourvus d’un lieu de prières, d’un autre pour des rites de purification, d’un site pour banquets et des chemins de procession. La nécropole de Hofstade est représentée sur la carte ci-dessous. Le champ d’urnes découvert par les archéologues n’est qu’une petite partie de la vraie nécropole.


La nécropole de Hofstade est un site païen sacré avec des emplacements spécifiques pour des rites de purification et un lieu de prières. Le bloc jaune à droite sur la carte est le site du champ d’urnes découvert par les archéologues. Le vrai cimetière est beaucoup plus vaste et s’étend jusqu’au Biesterveld et au Babbelaereveld. © Djamila Timmermans dans ‘Isca, een dorp uit de ijzertijd’, 2020. 


Un autre exemple ? Une des nécropoles les plus impressionnantes dans le Brabant fut sans conteste Meise, la nécropole du pays de Bruxelles. Jusqu’à ce jour pourtant, seuls les toponymes le racontent.


Bruxelles, une ville gauloise

A Bruxelles, traduire les toponymes est amusant. Ils témoignent de la confusion séculaire entre la langue des francophones et des flamands. Tous les deux prétendent régulièrement que l’autre a francisé ou flamandisé ‘son’ nom de lieu, alors que ce sont les Gaulois qui l’ont inspiré. Ainsi la Spiegelstraat serait devenue la Rue du Miroir, mais c’est plutôt l’inverse: mira est ‘un lieu élevé d’où l’on découvre ce qui se passe au loin’ et spia signifie ‘être à l’affût’. Ce fut donc un endroit d’où les Gaulois bruxellois protégeaient le sud de la ville en surveillant les environs. D’autres noms ont reçu des traductions singulières dans les livres d’histoire, où nos Gaulois sont à nouveau oubliés. Par exemple le Coudenberg, traduit par les francophones en ‘le Froidmont’. Mais pourquoi ferait-il plus froid sur le Coudenberg que sur le Treurenberg ? En réalité cau est un mot Breton qui signifie ‘entourer de haies, enclos, enfermer’ et berg peut être une colline ou une forteresse. Ce qui fait logiquement du Coudenberg un château fortifié vu l’histoire du site.

Parfois les noms finissaient par frustrer les habitants comme la Dode Rattenstraat ou Doderaste (litt. Rue des rats morts), un nom assez lugubre. En 1806, on en fit donc simplement une Rattenstraat et à partir de 1853 la Zuinigheidsstraat. Or, autrefois on y trouva un ‘gué’ ou rat, bien inoffensif, ou alors un ‘passage’ ou ode à travers les ‘buissons’ ou ras.

En France on est complètement perdu. Pour traduire la ‘Rue du Cerisier’ à Paris, il faut d’abord la transposer dans la version toponymique du Brabant. Ce qui se traduit par ‘Kersselaerestraat’ ou le ‘Kezzeleer’ en dialecte. Traduit cela devient une maison de douane ou péage: du Breton kerze, ‘profit, gain, droit de disposer de quelque chose’ et lar ‘maison’ en Celte. Voilà bien une, ou la raison pour laquelle les Français si passionnés par leurs ancêtres les Gaulois n’ont pas encore découvert à ce jour la réalité derrière leurs toponymes gaulois !


Un monde gaulois

Bruxelles fut donc une vraie ville dans l’Antiquité (800-400 avant notre ère) que les toponymes décrivent d’une façon détaillée. Et c’est valable pour de nombreuses autres villes et villages dans notre pays. Si les Gaulois avaient fait d’autres choix, s’ils avaient cru en d’autres dieux, notre monde et notre histoire seraient bien différents. Ce sont les Gaulois et leur immense respect pour les rivières et leurs sources qui sont à la base de notre aménagement du territoire.

Il existe néanmoins une différence essentielle entre Bruxelles et la ville gauloise de Bibracte en France découverte par les archéologues. Les fouilles à Bibracte ont permis d’exhumer parfaitement la ville parce qu’elle fut abandonnée très tôt. Bruxelles par contre, a évolué vers la capitale que nous connaissons aujourd’hui, à partir de la petite ville gauloise, sur les bords de la Zenne, qu’elle fût un jour.

Et ceci n’avait rien à voir avec quelques demi-sauvages vivant dans des cabanes sur pilotis le long de la Zenne marécageuse.

Nos toponymes ne sont pas germaniques. Ils sont gaulois et dans la pratique le Gallois et le Breton sont très utiles pour les traduire. Personnellement je trouve inquiétant que tant d’explications erronées concernant notre passé sont toujours d’actualité sans qu’on les remette en question. L’idée que les toponymes sont germaniques fut très fort défendue au début du 20ième siècle. Plus tard, les nazis s’en sont emparés, entre autres l’historien SS Franz Petri. Ils en ont conclu que le nord de la France et la Wallonie étaient germaniques avec toutes les conséquences que l’ont connaît : durant la deuxième guerre mondiale, cette théorie fut un argument supplémentaire pour annexer ces territoires afin de constituer le ‘Grand Empire Germanique’. Environs septante-cinq ans après la fin de la deuxième guerre mondiale, il existe assez de nouvelles données sur l’âge de fer pour se rendre compte de ce que cette idéologie germanique a fait de notre vision du monde….

Rendre aux noms de lieux leur origine gauloise bouscule beaucoup de certitudes, mais apporte aussi un regard neuf et fascinant sur la civilisation ouest-européenne des temps anciens. Ce qui peut intéresser beaucoup de monde. Les archéologues peuvent ainsi faire des interprétations plus précises de leurs découvertes et peuvent également chercher des traces d’anciennes civilisations là où ils auront le plus de chance d’en trouver. Les historiens auront de nouvelles perspectives concernant l’antiquité en Europe Occidentale. Ce ne sont pas les Romains qui nous ont apporté toute la civilisation. Pour les écologistes, les toponymes sont une vraie révélation sur les paysages, la nature, les régions aquifères et marécageuses du passé. Le linguistes pourront se rendre compte de l’utilité des langues anciennes et des dialectes pour la connaissance de la civilisation européenne dans l’Antiquité.

Les Pays-Bas, la Belgique, la France en la Grande-Bretagne comptent à eux seuls une centaine de langues locales, qui sont les descendantes directes des langues qui ont donné naissance aux toponymes inventés par les Gaulois. Les toponymes ne sont pas issus des langues écrites récentes, ni du ‘Diets’ (dialectes germaniques du Moyen Âge) ni du Latin.

Finalement, toute personne curieuse de l’origine et de l’évolution de notre société ou qui désire connaître l’origine des noms de nos villages et villes pourrait être intéressée par ces découvertes.

Les toponymes sont un prodigieux patrimoine qui nous apprend énormément sur notre lointain passé.

Tout ceci est à découvrir dans les livres (non traduits à ce jour) ‘Gallisch Brabant, wereld van toponiemen’ (2021), ‘Isca, een dorp uit de ijzertijd’ (2020) et ‘Etymologisch woordenboek. Brabantse toponiemen, relicten uit de oudheid’ (2021).

Commander


Nouvelle publication dans le futur proche?  Livre sur l'histoire du raisin de table du Brabant et les viticulteurs Belges. 

Durant plus d'un siècle et demi Overijse et Hoeilaart étaient connus pour leur production de raisins de table. Il n'y a pas si longtemps, le 'pays des raisins' dans le Brabant comptait plus de 35000 serres et exportait des millions de kilos de raisins vers la France, la Grande-Bretagne, les Etats-Unis et tant d'autres pays. Beaucoup reste à raconter sur cette histoire passionnante. Le livre est en cours d'écriture et sera illustré avec plein de documents et de photos inédits. Tenez à l'oeuil le site pour plus d'info's!


Photo: Les filles du B.J.B. en 1934. Archives D. Timmermans.

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